Le Québec est-il « en train de vider » les salles d’opération de ses hôpitaux « pour envoyer le personnel » dans des cliniques privées qui pratiquent des interventions chirurgicales pour le réseau public ?

Marie-Eve Cousineau

Marie-Eve CousineauLa Presse

En réaction à un reportage de La Presse faisant état d’un grand nombre de salles d’opération fermées en raison d’un manque de personnel1, le député de Québec solidaire Vincent Marissal a soutenu mercredi qu’« on est en train de vider nos salles d’opération au public, qu’on a payées avec notre argent, pour envoyer le personnel dans les cliniques privées ». Mais cette affirmation est-elle vraie ? Les infirmières et les inhalothérapeutes des blocs opératoires fuient-ils vers le privé ?

Difficile de savoir combien de professionnels de la santé ont quitté le réseau public pour travailler dans un centre médical spécialisé (CMS), une clinique privée pratiquant des opérations pour le compte du réseau public.

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ne détient pas de données sur le nombre de membres travaillant au sein d’établissements publics et d’entreprises privées (agences, CMS, etc.). Il affirme toutefois qu’il remédiera à la situation en 2025.

L’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec (OPIQ), lui, a fait une extraction de données à ce sujet en mai dernier. Au moment de cette « photo », une soixantaine d’inhalothérapeutes en assistance anesthésique étaient passés du réseau public vers le privé entre 2020 et 2024. L’Ordre comptait en moyenne 1325 membres.

Chez Santé Québec, on affirme ne pas avoir de données sur le nombre d’infirmières, d’infirmières praticiennes spécialisées et d’infirmières auxiliaires travaillant au privé. On indique toutefois que 949, provenant d’agences, ont rejoint dans la dernière année les rangs du réseau public, qui en compte 83 560 au total.

Une crainte ou une réalité ?

Les deux. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a émis en 2022 une directive resserrant les règles entourant les contrats avec les CMS, notamment afin « de réduire les ruptures de services et l’exode du personnel » du réseau public.

Les établissements de santé doivent prévoir dans leurs ententes avec les CMS une clause de non-sollicitation du personnel, « à moins qu’il y ait un accord préalable à une potentielle sollicitation entre les parties ».

Ils doivent aussi inclure une clause de non-recrutement d’un salarié du réseau pendant les 90 jours suivant son départ d’un établissement public, « à moins que les parties se soient entendues au préalable ».

Si ces clauses ne sont pas respectées, le CMS devra payer une pénalité correspondant à un an de salaire de l’employé concerné. Ce dernier ne pourra traiter de cas provenant d’établissements de santé pendant les 90 jours suivant son embauche, est-il écrit dans la directive.

Une infirmière ou un inhalothérapeute peut donc quitter le bloc opératoire d’un hôpital pour aller travailler, trois mois plus tard, dans un CMS et ainsi bénéficier d’un horaire favorable (pas de soirs, de fins de semaine ou de garde).

Certains le font, selon Christine Proulx, directrice des opérations chez Chirurgie DIX30, un CMS situé à Brossard. Mais plusieurs des 80 employés en soins qu’elle a embauchés, indique-t-elle, travaillaient auparavant dans des agences de placement, dans un CMS ou une clinique médicale privée non participante (où le patient doit payer ses traitements).

Chirurgie DIX30 assure ne pas recruter les étudiantes en soins infirmiers qui font un stage dans son bloc opératoire. Depuis 2019, aucune des 25 étudiantes accueillies n’a été embauchée, selon Christine Proulx. Une seule préposée à la stérilisation a été recrutée à la fin de son stage, et une autre est revenue « quelques années après ».

Des professionnels partent pour le privé

Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) compte, à l’heure actuelle, 64 inhalothérapeutes en assistance anesthésique. Depuis 2020, 17 ont démissionné. « Onze seraient potentiellement allés au privé », dit sa directrice des affaires publiques, Irène Marcheterre.

Potentiellement ? « Dans les entrevues de départ que les ressources humaines font avec les personnes, il y en a qui vont nous dire qu’elles s’en vont dans un autre milieu hospitalier, qu’elles quittent la profession. Mais quand elles vont ailleurs au privé, elles ne veulent pas nous le dire nécessairement », explique-t-elle.

Le CHUM ne peut donc confirmer le nombre d’inhalothérapeutes ayant fait le saut en CMS ou en clinique privée non participante.

Pour le président de l’Association des anesthésiologistes du Québec, le DNikola Joly, les CMS sont loin d’être une « panacée ».

« Les CMS ont sûrement des avantages, mais dans un contexte où on a une pénurie de personnel, des restrictions de ressources humaines, quand on ouvre plus de plateaux techniques [blocs opératoires], on ne fait que disperser les ressources », déplore-t-il.

Beaucoup de blocs opératoires manquent d’infirmières ou d’inhalothérapeutes. « Si on avait une abondance de ressources humaines, il n’y aurait pas de problème », pense-t-il.

Selon Christine Proulx, la fermeture de CMS ne réglerait pas la pénurie de personnel dans le réseau public. Les employés qui démissionnent de Chirurgie DIX30 ne veulent pas y retourner, affirme-t-elle. Ils vont travailler dans d’autres CMS, dans des cliniques d’esthétique – « la rémunération est plus alléchante » – ou en enseignement.

SOURCE; Vu, lu, vérifié | Blocs opératoires : un exode du personnel du public vers le privé ? | La Presse