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La PDG de Santé Québec, Geneviève Biron
Des compressions budgétaires faites dans l’urgence ont été moins bien « réfléchies » et des postes de hauts dirigeants dont « on n’avait pas besoin » après analyse ont été créés, admet la PDG de Santé Québec en entrevue avec La Presse.
« J’ai fait le constat qu’on doit fonctionner autrement. Puis, à partir de ce moment-là, pour moi, c’est important de prendre la bonne décision pour l’organisation. »
Geneviève Biron revient sur les dernières semaines, qui ont été pour le moins mouvementées : la grande patronne de la société d’État a limogé son bras droit, Frédéric Abergel, et le ministre Christian Dubé l’a renvoyée à la table à dessin pour qu’elle réduise la taille du premier organigramme1. Le tout alors que Santé Québec doit éliminer 1,5 milliard de dépenses dans le réseau.
« Ce n’est pas une situation qui est facile », reconnaît Geneviève Biron.
Elle est aussi sous le feu des critiques alors que son leadership est remis en question par certains PDG d’établissements de santé. « Je m’y attendais […] Il y a des parties prenantes qui sont là depuis longtemps, et c’est normal qu’on nous questionne », lance-t-elle.
Est-ce qu’on peut se laisser la chance de se mettre en action ? On a mis en place notre structure, on est en train de passer à l’opérationnalisation, on va bientôt arriver avec un plan stratégique, avec des objectifs.
Geneviève Biron, PDG de Santé Québec
« Donnons-nous la chance d’opérer et de livrer des résultats », plaide la PDG avec aplomb.
Changements à la gouvernance
Geneviève Biron accueille La Presse dans ses bureaux du centre-ville. Ici, il n’y a pas de noms sur les portes, fait-elle remarquer. Avec le télétravail et le fait qu’elle partage son temps entre Québec et Montréal, elle préfère que les espaces soient partagés, y compris le sien. « Je ne voulais pas de bureaux vides, le gaspillage, c’est surtout ça qui m’achalait », relate-t-elle.
Elle nous reçoit le jour où elle vient d’apporter d’importants changements à la gouvernance de la société d’État, trois mois seulement après son décollage. L’ex-gestionnaire du privé en santé a décidé d’éliminer le poste de vice-président exécutif aux opérations et à la transformation qu’occupait M. Abergel. Elle réduit aussi de 20 % la taille de sa direction en supprimant trois des quatre postes de vice-présidents adjoints.

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Frédéric Abergel, ancien numéro 2 de Santé Québec, occupait le poste de vice-président exécutif aux opérations et à la transformation.
La Presse révélait il y a une semaine que la direction de Frédéric Abergel était de loin la plus importante de Santé Québec avec 30 hauts dirigeants (elle réduit ce nombre à 25). Le ministre de la Santé s’était alors dit « inconfortable » avec la situation. C’est qu’en combinant Santé Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), le mammouth de la Santé pesait plus lourd qu’avant la réforme Dubé2.
Comment en est-on arrivé à ce résultat ? « Il y a des personnes qui étaient en place, qui voyaient les choses de cette façon-là », déplore-t-elle. Une critique à peine voilée envers son ancien bras droit, M. Abergel.
Mon objectif, c’était de réorganiser […] et cela a [mené] à la conclusion [qu’il y avait] des fonctions dont on n’avait pas besoin qu’on avait identifiées auparavant.
Geneviève Biron, PDG de Santé Québec
Geneviève Biron a nommé Maryse Poupart, la PDG du CISSS de la Montérégie-Centre, vice-présidente aux opérations et à la coordination du réseau3. Elle ajoute néanmoins un nouveau poste de vice-président à l’excellence clinique qui reste à pourvoir. Ces deux postes seront complémentaires, explique Mme Biron. Or, leurs titulaires seront au même niveau que les autres vice-présidents de Santé Québec.
Il n’a pas été possible de connaître le salaire attribué à ces deux fonctions, vendredi. Les salaires annuels des vice-présidents et vice-présidents adjoints de Santé Québec « varient de 254 535 $ à 453 600 $ ». Les titulaires des postes supprimés seront invités à pourvoir des fonctions inférieures.
Pas de recul sur les compressions
Autre constat de Geneviève Biron : la PDG reconnaît que la demande de compressions budgétaires dans le réseau a été « rapide », ce qui a donné lieu à des décisions prises avec « peu de temps de réflexion ».
« On souhaite prendre justement un petit peu de recul pour [identifier] des actions qui sont peut-être un petit peu plus porteuses et réfléchies pour le futur. Quand on est arrivés cet automne, bien évidemment, on a mis en place des plans d’action rapide », souligne-t-elle. Mme Biron prend d’ailleurs bien soin de préciser qu’elle a « hérité » d’un réseau où les établissements enregistraient des déficits.
Après avoir maintenu la ligne dure sur le retour à l’équilibre budgétaire, Christian Dubé a provoqué la surprise en janvier en affirmant que « jamais personne [n’avait] demandé [à Santé Québec] de couper 1,5 milliard en quatre mois [au 31 mars 2025] ». Mme Biron refuse de s’aventurer sur l’état actuel du déficit projeté. Lundi, le ministre de la Santé disait que la société d’État n’aurait pas « réussi complètement » à atteindre son objectif à cette date.
Geneviève Biron dit plutôt préparer le prochain exercice financier. À ce sujet, le budget du gouvernement Legault, qui sera présenté mardi à Québec, sera déterminant pour la suite. « On attend de voir ce qui va être annoncé, donc, de pouvoir s’ajuster. Mais j’aurais le goût de dire que les besoins de la population sont grands [en matière de santé] et sont en croissance », lance-t-elle en guise de message.
Le Québec fera face à des choix difficiles alors que le gouvernement anticipe un déficit encore plus grand pour l’année à venir que le record de 11 milliards de l’an dernier.
Santé Québec évalue toujours les plans budgétaires des établissements, soit une ultime phase de compressions qui affectera les services à la population. « Je pense qu’à travers ce qui nous est présenté, on va faire nos choix aussi […] Puis, évidemment, le prochain budget peut aussi dicter certaines décisions dans ces secteurs-là », explique Mme Biron.
Plan stratégique allégé
Malgré les écueils, Geneviève Biron se félicite des progrès réalisés dans le rattrapage en chirurgie. Quelque 7734 patients sont en attente d’une opération depuis plus d’un an. Si la cible au 31 mars est de 2300, le niveau actuel n’en est pas moins le plus bas depuis l’été 2020. « Ce n’est pas arrivé depuis cinq ans, c’est quand même de beaux résultats », soutient-elle.
Santé Québec présentera d’ailleurs son premier plan stratégique en mars. Geneviève Biron promet de réduire le nombre d’indicateurs à une vingtaine (le plan du MSSS en compte 25). Ses priorités demeurent l’accès aux services, la qualité des soins et la réduction de la bureaucratie, des lacunes citées par la population lors d’un récent sondage4.
SOURCE: Entrevue avec la PDG de Santé Québec | « C’est normal qu’on nous questionne » | La Presse