(Québec) Christian Dubé veut « sevrer graduellement » le réseau public de la santé du privé. Tarifs maximums, va-et-vient des médecins entre les deux régimes et contribution des cliniques de chirurgie, le ministre de la Santé veut passer l’apport du privé en revue.

 

Fanny Lévesque

Fanny LévesqueLa Presse

L’opposition qualifie la sortie du ministre de « changement de cap majeur » et d’un « constat d’échec » pour gouvernement Legault qui a promis en campagne électorale la construction de deux mini-hôpitaux privés et qui étudie actuellement la possibilité d’élargir le nombre de chirurgies couvertes par la RAMQ au privé.

Christian Dubé a pris l’exemple sur son engagement d’abolir le recours aux agences de placement de main-d’œuvre dans le réseau public d’ici 2026 pour expliquer sa « vision » pour la place du secteur privé dans le système québécois de la santé. « Je pense qu’on est rendus très près d’être capables de se sevrer graduellement du privé », a déclaré le ministre lors d’une interpellation au Salon rouge, mardi.

« [Le privé] restera toujours complémentaire [au secteur public], mais peut-être pas à la hauteur de ce qu’il est en ce moment », a plaidé M. Dubé. Il a par ailleurs ajouté que le débat des prochains mois pourra permettre « de s’entendre sur la période de transition qu’on devrait avoir » pour réduire l’apport du privé.

Une interpellation est une procédure parlementaire lors de laquelle un ministre répond aux questions de l’opposition pendant deux heures. L’exercice sur « la montée de la privatisation dans les soins de santé au Québec » tombe à point alors que le Collège des médecins a demandé lundi au gouvernement Legault de freiner immédiatement l’expansion du privé en santé.

Dimanche, Christian Dubé a également dévoilé son intention de présenter cette session un projet de loi pour forcer les nouveaux médecins à débuter leur pratique dans le réseau public. Mardi, le ministre a fait valoir qu’il s’agira d’un premier élément de sa stratégie. M. Dubé a ajouté que son projet de loi à venir pourrait d’ailleurs être « plus costaud » qu’annoncé et contenir d’autres moyens de freiner le développement du privé.

« C’est vraiment un débat de société qu’on est en train de faire », a plaidé le ministre, rappelant que des consultations auront lieu ce printemps dans la foulée du dépôt du texte législatif.

Le ministre de la Santé a mentionné que « c’est évident » que les règles permettant aux médecins de faire le va-et-vient entre le régime public et le secteur privé « doit être corrigé ». M. Dubé a entre les mains depuis mars, un projet de règlement approuvé par la RAMQ pour augmenter le délai requis pour se désaffilier du régime public. En ce moment, un médecin peut le faire jusqu’à 19 fois par année.

« Je m’étonne qu’on n’ait pas utilisé ce moyen-là pour envoyer un message », a indiqué le député de Québec solidaire, Vincent Marissal, qui a demandé au ministre pourquoi il n’avait toujours pas présenté le projet de règlement au conseil des ministres. Le ministre Dubé a répété à plus d’une reprise qu’il ne voulait pas « faire d’outrage » au parlement en donnant trop de détails sur le contenu du projet de loi.

« Inverser la tendance »

Christian Dubé dit vouloir freiner l’exode des médecins vers le privé. Il a évoqué également l’imposition de tarifs maximums pour les cliniques privées. « Il n’est pas trop tard pour inverser la tendance », a ajouté le ministre. En 2023-2024, 888 médecins se sont désaffiliés de la RAMQ. Le ministre a rappelé qu’il s’agit d’environ 3 % des médecins et qu’ils le font parfois « de façon sporadiques ».

Avant qu’on soit à 4, 5 ou 6 %, c’est [maintenant] qu’on doit dire que c’est assez. À 3 %, on devrait être capable de corriger la situation assez rapidement.

 Christian Dubé, ministre de la Santé

Sur l’apport des cliniques médicales spécialisées (CMS) qui contribue au rattrapage en chirurgie depuis la pandémie, le ministre a fait preuve de prudence. « Il y a un minimum de privé qu’on doit conserver », a-t-il dit. Christian Dubé a ajouté qu’il ne regrette pas d’avoir augmenté leur contribution pendant la crise sanitaire, rappelant que les Québécois utilisent la carte-soleil pour ces chirurgies.

« On va regarder dans les prochains mois [comment] cette combinaison [public-privé] puisse » continuer de servir les patients, a-t-il expliqué.

En septembre, le ministre Dubé a d’ailleurs présenté un projet de règlement pour ajouter une vingtaine de services spécialisés qui pourraient s’additionner à ceux qui sont déjà offerts en vertu du Règlement sur les traitements médicaux spécialisés dispensés dans un centre médical spécialisé.

Ce qu’ils ont dit

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

André Fortin, député libéral de Pontiac.

On va participer à l’exercice, on va voir ce qui est proposé, mais il faut faire les choses correctement. Et ça, c’est une habitude du ministre Dubé, il présente des grands principes […] mais dans l’application, il ne fait pas le travail nécessaire pour que ça aboutisse à bon port.

 André Fortin, député du Parti libéral du Québec

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Vincent Marissal, député solidaire de Rosemont.

La CAQ, depuis six ans, nourrit ce monstre-là avec des hormones de croissance. Il faudrait arrêter ça au moins maintenant, puis on discutera. Mais je le redis, il y a eu un changement de cap majeur ce matin, j’en suis évidemment heureux. Je suis rempli d’espoir, mais je ne suis pas tout à fait naïf, j’ai vu neiger, on va attendre de voir la suite.

 Vincent Marissal, député de Québec solidaire

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois et Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine.

Ça fait deux ans que le gouvernement a été élu et il parle du privé comme étant les béquilles qui vont permettre au système de santé de continuer à avancer alors que c’est plutôt le coup de Jarnac qu’on est en train d’administrer aux services publics. Alors là, il y a un changement complet d’orientation, mais sans nous donner les détails de sa vision.

 Joël Arseneau, député du Parti québécois