Québec est prêt à faire face à un autre virus et a mis sur pied un tout nouveau plan de lutte contre les pandémies, assure le directeur national de santé publique. Mais sur le terrain, des acteurs importants du réseau ignorent l’existence même de ce plan et mettent en doute le niveau de préparation pour affronter une nouvelle crise sanitaire.

Ariane Lacoursière

Ariane LacoursièreÉquipe d’enquête, La Presse
Gabrielle Duchaine

Gabrielle DuchaineÉquipe d’enquête, La Presse

« Au Québec, on écrit de merveilleux documents et on ne fait rien avec », déplore François Béland, professeur émérite de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« On a l’impression qu’il n’y a pas eu de vrai post-mortem [sur la COVID-19] », ajoute la Dre Amélie Boisclair, intensiviste à l’hôpital Pierre-Le Gardeur à Terrebonne. Elle cite l’exemple des zones rouges et vertes qu’on a dû délimiter à la hâte dans les hôpitaux et les CHSLD pour séparer les patients.

A-t-on gardé les plans de ce qui a été fait pour les réutiliser au besoin et ne pas avoir à tout refaire dans l’urgence ? Il faudrait. Parce que si ça réarrivait, on n’aurait pas l’impression de recommencer à zéro.

 La Dre Amélie Boisclair, intensiviste à l’hôpital Pierre-Le Gardeur

Directeur national de santé publique du Québec, le DLuc Boileau assure qu’un « plan national intégré de préparation à une pandémie » de type virale a été préparé et est « en finalisation ». Ce plan ministériel « se modernise de façon constante » et couvre « les communications, le système de surveillance, l’approvisionnement et les pratiques de prévention et contrôle des infections dans les milieux de soins […] ». Il faut toutefois encore le « raffiner » afin de bien l’arrimer avec la nouvelle agence Santé Québec, explique-t-il en entrevue avec La Presse.

« On n’a pas eu connaissance de ce plan », réplique la Dre Marie-Claude Letellier, vice-présidente, rayonnement et relations publiques de l’Association des spécialistes en médecine préventive du Québec, en déplorant elle aussi qu’il n’y ait eu aucun bilan sur la pandémie. Un exercice qui aurait permis par exemple d’évaluer les mesures mises en place comme la vaccination obligatoire ou le couvre-feu. « S’il y en a eu un, il n’y a eu aucune sollicitation des médecins de santé publique sur le terrain », dénonce-t-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières de 2013 à 2019

Présidente de Médecins sans frontières de 2013 à 2019, la Dre Joanne Liu trouve elle aussi « extrêmement dommage qu’on n’ait pas fait une vraie investigation indépendante sur la COVID » et l’impact des mesures adoptées par Québec pour y faire face. « On n’a pas de réponse. Tout le monde ne veut pas revenir à des mesures de santé publique aussi drastique. Il aurait fallu analyser ce qui a été fait. »

Pas de porteur de ballon

Coroner, Protecteur du citoyen, Commissaire à la santé et au bien-être, Vérificateur général… Plusieurs rapports ont été produits à la suite de la crise. Le DBoileau se veut rassurant et affirme que les recommandations sont prises en compte dans le nouveau plan de préparation à une pandémie. « On a regardé ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné », dit-il. Le nouveau plan de préparation à une pandémie n’est « pas caché », mais attend d’être arrimé à Santé Québec pour être diffusé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le DLuc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Les établissements de santé ne partent pas de rien. Tout le monde a des capacités établies pour faire face à une pandémie.

 Le DLuc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Certaines améliorations sont d’ailleurs constatées dans le réseau et permettent de croire que la province serait mieux préparée qu’en 2020. Mais sur le terrain, des questions persistent.

Notamment sur les CHSLD. La première vague de COVID-19 a frappé fort dans les milieux d’hébergement pour aînés, où plus de 5000 personnes sont mortes au printemps 2020. Davantage de personnel a été déployé dans ces milieux. Mais le tout reste fragile, selon la Dre Andrée Robillard, membre de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD. « On dirait qu’il n’y a pas de porteur du dossier à Québec », note-t-elle, en réclamant l’adoption d’un cadre de référence établissant entre autres des ratios de soignants par résidant en CHSLD.

Des zones d’ombre

Au terme de son enquête publique sur les décès en CHSLD, menée entre 2021 et 2022, la coroner Géhane Kamel avait recommandé au gouvernement du Québec de « s’assurer que les milieux d’hébergement puissent offrir des chambres individuelles aux résidants ». Pourtant, Québec n’a toujours aucun portrait du nombre de chambres doubles dans les CHSLD, décrites comme un « facteur de risque important » dans la propagation des virus.

Durant l’enquête de MKamel, un chiffre avait été fourni par Québec, soit qu’au début de la pandémie, 22 % des places en CHSLD étaient dans des chambres accueillant deux résidants ou plus. « L’hypothèse que nous avons est qu’une compilation manuelle avait exceptionnellement été effectuée auprès des CISSS/CIUSSS », explique Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé (MSSS), pour justifier l’absence de statistiques récentes.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La coroner Géhane Kamel

Or, selon une recension effectuée par La Presse, la proportion de chambres à deux n’a pas baissé depuis le rapport de MKamel.

Outre une directive transmise par Québec aux établissements en octobre 2023 « demandant la fermeture des chambres à plus de deux lits en centre d’hébergement et de soins de longue durée », aucun suivi de la situation ne semble avoir été fait.

Le DAndré Jacques, qui a pratiqué au CHSLD Laflèche de Shawinigan, ravagé par la COVID-19, avait pointé les chambres doubles comme une cause de propagation. « Depuis, mon impression est que la situation n’a pas vraiment changé. Avec l’arrivée des maisons des aînés, j’aurais préféré qu’on investisse pour améliorer cette problématique, même si l’un n’empêche pas l’autre. »

Pas de système centralisé pour gérer les masques et les gants

Le gouvernement n’a pas non plus fini de mettre en place un système informatique panquébécois de gestion des équipements de protection individuelle (EPI), comme le demandaient le Vérificateur général et la coroner en 2022.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Depuis le début de la crise sanitaire, Québec tient le compte des EPI dans sa réserve centrale. Toutefois, chaque CISSS et CIUSSS possède sa propre réserve, sur laquelle le gouvernement n’a, encore aujourd’hui, aucune donnée.

Depuis le début de la crise sanitaire, Québec tient le compte des EPI dans sa réserve centrale. Toutefois, chaque CISSS et CIUSSS possède sa propre réserve, sur laquelle le gouvernement n’a, encore aujourd’hui, aucune donnée.

Pendant la pandémie, « l’absence d’une information complète, fiable et à jour sur les stocks et la consommation d’EPI a nui à une prise de décision éclairée du MSSS quant à l’approvisionnement et à la distribution », soulignait le Vérificateur général.

Des années plus tard, le problème demeure.

« Nous travaillons à la mise en place d’un système qui permettra d’avoir les données précises des stocks et ce, dans tout le réseau. Les travaux sont en cours », explique la porte-parole du MSSS.

Le Ministère assure avoir des gants, des masques, des blouses d’hôpital et autres équipements en quantité suffisante. « L’approvisionnement est sécurisé pour les 10 prochaines années. »

Séparer le politique du médical

Après la première vague de COVID-19, le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec dénonçait « l’absence d’un plan de pandémie à jour, mis à l’essai et adapté à tous les types de milieux ». Un tel plan existe aujourd’hui et sera divulgué bientôt, répète le DBoileau. Et ce plan tient compte de « tous les milieux de vie », dont les CHSLD.

Mais pour la Dre Letellier, ce plan qu’elle n’a pas encore pu voir est « politique, et non médical ». Celle-ci rappelle que le DBoileau est toujours à la fois directeur national de santé publique et sous-ministre adjoint à la Santé. Un « double chapeau » que la coroner Géhane Kamel recommandait d’éliminer pour assurer l’indépendance de la fonction.

Dans sa réforme du réseau, le ministre de la Santé Christian Dubé a choisi de conserver les deux chapeaux du directeur national de santé publique. « Jamais, dans l’exercice de ma vie de directeur national de santé publique, je n’ai senti que j’étais soumis à une pression pour corriger l’avis scientifique qui devait être donné », assure le DBoileau.

SOURCE : Des soignants inquiets qui ignorent tout du plan de Québec | La Presse