Participez-vous ou subissez-vous la culture de l’âgisme et, si oui, comment l’arrêter ? Pour souligner la reprise de ses activités d’échanges avec les citoyens, le Centre de recherche sur le vieillissement de Sherbrooke (CdRV) a tenu mercredi une grande table ronde sur l’âgisme, « la forme de discrimination la plus tolérée et répandue au pays », afin d’aider les personnes âgées à s’outiller contre ce phénomène.
Il s’agissait en effet de la première de ces habituellement traditionnelles rencontres depuis le début de la pandémie de COVID-19. À l’occasion, plus d’une cinquantaine de personnes se sont déplacées au Centre culturel Le Parvis, alors que d’autres y ont assisté en visioconférence.
Les curieux ont d’abord pu recevoir une définition bien complète de l’âgisme, une forme de discrimination qui est beaucoup plus présente et néfaste que l’on pourrait le penser.
« Il existe plusieurs exemples de situations qui sont de l’âgisme. Perdre son emploi ou ne pas être embauché en raison de son âge, se faire évincer de son logement, recevoir des accommodations exagérées, recevoir moins de traitements préventifs : tout ça est de l’âgisme si c’est fait en raison de l’âge la personne », explique la professeure-chercheuse à l’Université de Sherbrooke et au CdRV, Mélanie Levasseur.
Or, si ces exemples visent des situations où une personne en discrimine une autre en raison de son âge, il y a aussi beaucoup d’exemples d’âgisme auto-infligé.
Mme Levasseur explique qu’en raison de certains stéréotypes âgistes véhiculés, par exemple que les aînés soient carrément incapables d’utiliser un ordinateur ou de participer à toute forme d’activité physique, des aînés se mettent eux-mêmes à croire qu’ils ne peuvent plus vivre leur vie aussi activement qu’ils ne le souhaiteraient.
« J’ai 73 ans. Je fais du ski et tout le monde me dit que ça n’a pas de bon sens, que je devrais arrêter pour ne pas me blesser. Ça amène un doute sur les capacités que j’ai à faire cette activité », exprime Paul Thibault, un citoyen qui participait à la table ronde.
« Il y a trois manières d’exprimer un comportement âgiste envers une personne âgée : la dépeindre comme étant invisible, comme n’ayant rien à offrir pour la société ou comme incompétente dans tous les domaines », poursuit Mme Levasseur.
Selon les experts présents toutefois, la société entière gagnerait à ne pas traiter ainsi les personnes âgées.
« Un aîné qui partage avec un plus jeune, ça vient créer de beaux échanges et une belle transmission de valeurs. Seulement-là, c’est bénéfique de voir la personne en chaque aîné. De plus, une personne âgée peut faire du bénévolat, soutenir sa famille, travailler, s’impliquer, donc tout le monde a quelque chose à gagner », note Dany Baillargeon, lui aussi professeur-chercheur à l’UdeS et au CdRV.« Il y a trois manières d’exprimer un comportement âgiste envers une personne âgée : la dépeindre comme étant invisible, comme n’ayant rien à offrir pour la société ou comme imcopétente dans tous les domaines », soutient Mélanie Levasseur.LA TRIBUNE, JEAN ROY
Un groupe hétérogène
À la base de ce problème d’âgisme se trouve le phénomène suivant : le placement de tous les aînés dans un seul et même groupe, si bien que l’on ne fait plus la distinction, par exemple, entre une personne malade vivant en CHSLD et une personne âgée qui a encore la capacité de vivre une vie active.
« Il ne nous viendrait jamais à l’esprit de mettre un adolescent de 15 ans et un adulte de 45 ans dans la même catégorie. Or, on place sans gêne quelqu’un de 65 ans et quelqu’un de 95 ans dans le même groupe nommé aînés, alors que dans les deux cas, les deux personnes ont 30 ans de différence », image M. Baillargeon.
« C’est en partie, continue-t-il, en raison de la situation dans les milieux de vie dans les deux dernières années. On voyait, à raison, les aînés en CHSLD comme des gens à protéger, mais on appliquait ça envers les autres personnes âgées, ce qui perpétue des stéréotypes. Il faut voir comment chaque personne, chaque aîné, a envie de se voir dans son vieillissement, en arrêtant de ne dire que des choses négatives sur le vieillissement. »
Pour le professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’UdeS, Alan Cohen, le problème va plus loin. Selon lui, même si l’on s’efforce de voir plus loin que la catégorie « aînés », l’on ne verra toujours pas la personne en premier.
« On ne les voit pas comme des personnes, mais comme des malades. Des gens essaient de définir le vieillissement comme une maladie », estime-t-il.Une cinquantaine de personnes ont participé à la matinée de discussion à la salle du Parvis.LA TRIBUNE, JEAN ROY
Discrimination tolérée
Dany Baillargeon est catégorique : d’après lui, l’âgisme est « la forme de discrimination la plus tolérée et la plus répandue » au Canada.
« C’est assez bien documenté en fait. On tolère l’âgisme, notamment parce que, contrairement au racisme où il y a clairement une catégorie de gens ou une culture rabaissée par une autre, on part du principe que tout le monde va vieillir, donc que l’âgisme arrivera à tout le monde », avance-t-il.
Le professeur-chercheur renchérit que, bien que plus toléré, l’âgisme à des impacts semblables au sexisme ou au racisme, soit une détérioration de la santé physique et mentale ou un isolement par exemple.
« Comme société, on a fait énormément de progrès dans la lutte contre le racisme et le sexisme, mais on patine un peu sur l’âgisme. On pourrait en faire plus », souligne Mélanie Levasseur.
Mme Levasseur tient aussi à mentionner que, bien qu’il touche de manière plus forte les personnes âgées, l’âgisme se manifeste aussi contre les personnes plus jeunes, notamment les adolescents, qui traînent une bonne part de stéréotypes eux aussi.
« Le phénomène touche plus les aînés, car il y a un manque de connaissances sur le vieillissement, ce qui créer des craintes envers celui-ci », vulgarise-t-elle.
Pour remédier à cette discrimination bien souvent inconsciente, elle préconise une approche éducative, faisant à cet effet la promotion de bonnes informations sur le vieillissement, et une approche intergénérationnelle, permettant ainsi des discussions entre des personnes âgées et des personnes plus jeunes.
source : latribune.ca ANTHONY OUELLET