Les trous de mémoire sont frustrants, et le spectre de la démence et de la maladie d’Alzheimer, effrayant. Devrait-on faire des « exercices » de mémoire ? Comment mettre les chances de son côté ? Deux chercheurs font état des connaissances et présentent des trucs concrets.
Multifactoriels
Dans ce reportage, vous apprendrez comment entraîner votre mémoire, mais sachez d’abord ceci : il existe plusieurs leviers pour diminuer son risque de développer la maladie d’Alzheimer, à commencer par… l’exercice cardiovasculaire. Eh oui, encore lui. « Ce qui est bon pour notre cœur est bon pour notre cerveau », résume Sylvain Williams, professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill. Plusieurs autres facteurs sont protecteurs : bien dormir, contrôler son hypertension et son diabète, maintenir un poids santé, ne pas fumer, limiter l’alcool, soigner ses problèmes d’audition, maintenir une vie sociale active, etc.
45 %
Selon la Commission sur la démence du journal The Lancet, 45 % des cas de démence pourraient potentiellement être prévenus en s’attaquant aux facteurs de risque modifiables.
Activités cognitives
Solliciter son cerveau permet aussi de repousser la maladie d’Alzheimer. Ça peut prendre plein de formes : lire des livres, discuter autour d’un documentaire, faire des mots croisés, des Sudokus, du bénévolat… « La clé, c’est essayer d’activer le plus grand nombre de régions de notre cerveau », explique Sylvain Williams. Sylvie Belleville, professeure de neuropsychologie à l’Université de Montréal, compare ces activités cognitives – toutes salutaires – à de la marche. C’est excellent, la marche, mais on peut aussi faire des exercices de gym plus spécifiques, mieux adaptés. C’est là qu’intervient l’« entraînement » de la mémoire. « Les deux sont bons, et l’un n’empêche pas l’autre », précise-t-elle.
Un entraînement efficace
Dans une étude récente, la chercheuse Sylvie Belleville et son équipe ont montré ceci : entraîner son cerveau à se souvenir de certains éléments (comme les noms des gens) permet de freiner le déclin cognitif, même cinq ans après la fin de l’entraînement. « Et beaucoup d’études ont montré que des personnes âgées qui font ce type d’exercice ont des bienfaits pendant 10 ans », indique Sylvie Belleville. Son étude a été menée avec des participants souffrant déjà d’un déclin cognitif léger. À 30, 40, 50 ans, faudrait-il déjà s’y mettre ? « C’est un continuum, répond Sylvie Belleville. Quand tu as 40 ans, que tu t’occupes de tes parents et de tes enfants, ce n’est peut-être pas la chose la plus vitale à intégrer dans ta vie. Mais si tu as 65 ans, que tu es à la retraite et moins intellectuellement stimulé, ça peut être de bonnes stratégies à apprendre. »
Adopter des stratégies
Si on peut suivre le programme formel, c’est bien (voir encadré), mais on peut aussi s’en inspirer. Sylvie Belleville a accepté de révéler quelques secrets de cet entraînement nommé MÉMO. S’agit-il d’apprendre par cœur des séries de chiffres ou de jouer compulsivement au jeu de mémoire ? Non. Faut-il jeter son agenda et ne plus rien noter dans son téléphone ? Non plus. « Ce qu’on enseigne, ce sont des stratégies à appliquer quand c’est utile », explique-t-elle. Les gens se plaignent beaucoup d’oublier les noms des gens – voilà quelque chose d’utile. « On va donc apprendre des stratégies qui permettent aux noms de s’imprimer davantage dans la mémoire, de façon plus riche. »
Pour les noms
Premier truc ? Miser sur les images. « Par exemple, mon nom, Belleville. J’ai de grands yeux, souligne la chercheuse. Vous pouvez mettre dans mes yeux les immeubles d’une belle ville. » Deuxième truc : faire des liens avec des choses qu’on connaît. Telle personne a le même prénom que telle autre, et elles ont telle ou telle chose en commun ? Plus facile à retenir ainsi. Troisième truc : la répétition espacée. Sylvie Belleville donne l’exemple de Ljubljana, la capitale de la Slovénie. On le dit une fois, et on le redit après 30 secondes, deux minutes, cinq minutes, une demi-heure… « C’est un processus qui renforce la trace », explique-t-elle.
Pour les listes
Et voici un autre truc, que Sylvie Belleville utilise elle-même beaucoup pour se souvenir de sa liste d’épicerie : la méthode des lieux. On se crée un parcours mental dans sa maison – toujours le même. Par exemple, le banc à l’entrée, le garde-robe, le miroir, etc. Et on associe chaque arrêt à un aliment qu’on doit acheter : des citrons étalés sur le banc d’entrée ; du lait qui déborde du garde-robe ; une pomme tendue par une sorcière dans le miroir, etc. On peut faire la même chose pour ses rendez-vous : le dentiste qui opère sur le banc d’entrée, les lettres à poster collées dans le miroir, et ainsi de suite.
L’importance de l’attention
Il faut aussi savoir mobiliser son attention pour mieux mémoriser. Avec l’âge, et avec le multitâche, c’est quelque chose qui se perd, souligne le professeur Sylvain Williams. La difficulté à se concentrer fait d’ailleurs partie des premiers stades de la maladie d’Alzheimer. « On n’a pas un appareil vidéo dans notre tête : il faut s’arrêter et intégrer l’information, et pour cela, il faut se concentrer », dit Sylvain Williams, qui souligne que les gens qui ont une bonne mémoire… font souvent beaucoup d’efforts. Pour exercer la sienne, le professeur Williams prend le temps d’apprendre le nom des auteurs, du journal et la date de publication des études qu’il consulte.
Cercle vertueux
Comment l’apprentissage de ces stratégies peut-il avoir un impact pendant plusieurs années ? Sylvie Belleville pense que ça génère un cercle vertueux en rendant les gens plus confiants, plus allumés, plus attentifs à leur cognition. Est-ce que ça peut même prévenir la maladie d’Alzheimer ? « On pense que ça ralentit la progression des symptômes, explique Sylvie Belleville. C’est comme si on compense en activant d’autres régions cérébrales. Quand arrive la maladie, on s’en défend, et on est capable de limiter son impact sur la cognition et la mémoire. »
Le programme MÉMO
Le programme MÉMO est offert à différents endroits : à la Clinique de mémoire du CHU de Sherbrooke ; à la Clinique régionale de la mémoire à Rouyn-Noranda ; au Centre d’éducation des adultes des Navigateurs à Québec ; et chez NeuropsyExpert, dans le Grand Montréal. Certaines résidences pour personnes âgées, d’autres CIUSSS et cliniques de mémoire l’offrent aussi à l’occasion. D’autres programmes semblables sont aussi offerts.