(Québec) Christian Dubé doit faire plus que forcer les diplômés à pratiquer au public s’il veut freiner l’expansion du privé en santé, selon le Collège des médecins. L’ordre professionnel lui demande de contenir le va-et-vient des médecins entre les deux régimes.

Fanny Lévesque

Fanny LévesqueLa Presse

Ce qu’il faut savoir

  • Le ministre Christian Dubé a dévoilé dimanche son intention de déposer un projet de loi pour forcer les nouveaux médecins à pratiquer au public.
  • Le nombre de médecins non participants au régime public est passé de 538 en 2019-2020 à 888 en 2023-2024, selon la RAMQ.
  • Selon le Collège des médecins, le ministre de la Santé doit aller beaucoup plus loin pour freiner l’expansion du privé en santé.

Selon le Collège des médecins, le ministre de la Santé doit déployer rapidement un bouquet de mesures pour « rigoureusement réguler et encadrer » les soins de santé offerts au privé, comme réduire l’écart des honoraires versés pour un même service entre les systèmes public et privé et réévaluer la pertinence de construire deux mini-hôpitaux privés, un engagement électoral de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Le projet a été converti au printemps en cliniques privées gériatriques, où le patient pourra payer avec sa carte d’assurance maladie. « Pour nous, deux mini-hôpitaux privés, ça fait partie de l’expansion du privé, et nous, on recommande de ne pas aller dans ce sens-là pour l’instant », indique le président, le DMauril Gaudreault.

Lundi, La Presse a rapporté que l’ordre professionnel qui encadre la pratique des médecins voulait que Québec freine totalement le développement de l’expansion du privé en santé. Au même moment, le ministre Christian Dubé a annoncé son intention de forcer les nouveaux médecins à amorcer leur pratique au public1.

Le sujet sera débattu ce mardi à l’Assemblée nationale, alors que le ministre participera à une interpellation, une procédure parlementaire durant laquelle un élu répond aux questions de l’opposition pendant deux heures. La demande a été faite par le député de Québec solidaire Vincent Marissal.

Selon le Collège, Québec devrait rapidement mettre un frein au « phénomène d’alternance » des médecins entre les régimes public et privé. Le nombre de spécialistes qui s’adonnent à cette pratique a presque triplé depuis 2019-2020, selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Pourtant, Christian Dubé a entre les mains un projet de règlement, approuvé par la RAMQ l’hiver dernier, pour resserrer les règles du jeu, comme le rapportait La Presse en mars2. Or, le ministre est toujours en réflexion et n’a pas encore présenté le document au Conseil des ministres.

« Ça ne peut pas fonctionner ! »

Selon le scénario qui circulait l’hiver dernier, le gouvernement envisageait de faire passer le délai pour se désaffilier de la RAMQ de 30 à 180 jours — environ six mois. Ce qui viendrait empêcher les médecins de faire plusieurs va-et-vient pendant l’année.

Le Collège s’explique mal pourquoi le ministre ne va pas de l’avant rapidement.

Actuellement, je ne dis pas que c’est n’importe quoi, mais c’est trop facile de passer d’un régime public à un régime privé, donc il faut raffermir ça.

 Le DMauril Gaudreault, président du Collège des médecins

L’ordre professionnel est « grandement » préoccupé par les médecins qui offrent, par exemple, à leurs patients d’être opérés plus rapidement au privé, les entraînant à dépenser plusieurs milliers de dollars. « Des cas nous ont été rapportés. C’est vrai, des patients [qui se font dire par le médecin qu’à] l’hôpital, ça peut prendre 14 mois, mais dans [sa] clinique, 2 mois », déplore M. Gaudreault.

« Ça ne peut pas fonctionner ! »

Le cabinet de Christian Dubé confirme avoir « actuellement des réflexions sur le va-et-vient des médecins entre le public et le privé » et que les consultations du projet de loi sur les nouveaux médecins « donneront l’occasion d’avoir ces discussions sur la place du privé ». L’intention du ministre de légiférer sur les diplômés « est une première étape » pour mieux « encadrer » le privé, ajoute-t-on.

Jusqu’à 19 fois par année

La RAMQ affirme qu’un médecin, selon les règles actuelles, peut alterner du public au privé jusqu’à 19 fois par année en passant d’un statut de participant à non-participant au régime public. En 2023-2024, un total de 150 médecins se sont désaffiliés plus d’une fois dans l’année, selon des données de la RAMQ présentées dans des documents révélés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Depuis les cinq dernières années, le phénomène d’alternance est plus marqué chez les spécialistes » et est demeuré « relativement stable » chez les omnipraticiens, écrit-on.

Entre 2019-2020 et 2023-2024, le nombre de spécialistes qui se sont désaffiliés plus d’une fois est passé de 49 à 145. C’est presque trois fois plus, souligne la RAMQ. Chez les omnipraticiens, ce nombre varie de 1 à 5 pour la même période. D’autres données démontrent que dans plus de la moitié des situations, des médecins spécialistes ont changé de statut de trois à six fois dans l’année. Cette pratique est surtout répandue chez les chirurgiens orthopédistes. Il s’agit du secteur où la liste d’attente est la plus longue au public.

« Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de règlement qui permettrait de limiter la pratique de l’alternance chez un professionnel », écrit la RAMQ. On ajoute qu’aucune règle, « sous la juridiction de la RAMQ, n’encadre la poursuite de la relation thérapeutique par un professionnel lors d’un changement de statut ». Seul le ministre de la Santé « pourrait mettre fin à la non-participation des médecins » au régime public, indique-t-on.

SOURCE: Va-et-vient public-privé | Québec doit mettre un frein, croit le Collège des médecins | La Presse