Des syndicats du secteur public mettent Québec en garde contre un affaiblissement des services. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Cotnoir
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Des syndicats d’employés du secteur public au Québec ont dénoncé vendredi le « gel du recrutement » dans la fonction publique annoncé la veille par le gouvernement de François Legault, estimant que cette décision entraînera une dégradation des services à la population. Québec soutient plutôt vouloir « optimiser » les dépenses publiques.
Le « gel du recrutement » de nouveaux employés, qui sera en vigueur à partir du 1er novembre, et ce, jusqu’à nouvel ordre, touche notamment le personnel administratif dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Les services publics ne peuvent pas fonctionner sans le personnel administratif et il n’y a aucun doute que cette mauvaise décision va entraîner des conséquences majeures sur le terrain. Il faudra maintenant associer [la CAQ] au retour de l’austérité et à la dégradation des services à la population.
Je trouve ça fort insultant que les gens qui travaillent dans les bureaux soient considérés comme moins utiles que les autres
, a déploré la présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Caroline Senneville, en entrevue à l’émission Midi info.
Dans un communiqué publié jeudi soir, le Conseil du Trésor a dit souhaiter freiner la croissance du nombre d’employés dans la fonction publique
afin de respecter les budgets alloués pour l’année en cours
. Québec compte aussi imposer des restrictions sur les heures supplémentaires et sur les frais de déplacement pour limiter ses dépenses.
Toutefois, les centres de services scolaires et les établissements de santé, sauf dans le cas de leur personnel administratif, ainsi que certaines sociétés d’État, notamment la Société des alcools du Québec (SAQ) et Hydro-Québec, sont exclus de l’application du gel.
Sans être surpris par l’annonce du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), puisque la pression budgétaire se fait sentir depuis plusieurs mois sur le terrain, les syndicats dénoncent ce qu’ils qualifient de nouvelles mesures d’austérité
qui affaiblissent encore un peu plus le réseau public, selon eux.
Dans les faits, la situation continue de se dégrader et elle empirera avec cette décision de la CAQ
, évoque notamment le communiqué de la CSN.
Le public va en pâtir
Le président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), Guillaume Bouvrette, soutient que ce « gel du recrutement » nuira inévitablement aux services à la population.
Ce serait utopique d’affirmer qu’il n’y aura pas de délais supplémentaires dans le traitement des demandes, dans la gestion des programmes sociaux
, affirme M. Bouvrette.
En outre, il montre du doigt l’augmentation de la surcharge de travail pour les employés du réseau et souligne que la rétention du personnel dans l’ensemble du secteur public risque de se compliquer davantage.
Les taux d’occupation et les temps d’attente dans les urgences du Québec demeurent très élevés, entraînant une surcharge de travail pour le personnel hospitalier.
Photo : Radio-Canada
Pour le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Réjean Leclerc, il est certain que les compressions dans le personnel administratif du réseau, déjà à bout de souffle, auront des impacts négatifs directs sur les soins et services
que reçoivent les Québécois.
Toute la machine sera ralentie. La CAQ veut-elle vraiment obliger les médecins et les infirmières à devoir faire du travail administratif, à s’occuper de la paperasse, parce que le gouvernement coupera dans les bureaux?
Du côté de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de ses fédérations du réseau collégial public, c’est le coup de massue.
Ces syndicats du secteur de l’éducation rappellent que les postes administratifs visés par ce gel d’embauche
sont essentiels pour le bon fonctionnement des cégeps. Ils contribuent entre autres à la sécurité informatique, à la gestion budgétaire, aux approvisionnements, à la rénovation des immeubles, à la qualité des programmes d’études, à la gestion des ressources humaines
, mentionnent les fédérations dans un communiqué commun.
Le gouvernement ne réalise pas tout le tort qu’il est en train de causer dans le réseau collégial avec ce gel d’embauche qui a toutes les apparences de coupures de postes déguisées. De la comptabilité à la gestion des bons de commande en passant par la gestion des admissions, ce sont toutes les activités des cégeps qui seront affectées et, au final, la qualité des services aux étudiants le sera aussi.
C’est tout simplement impensable de retourner à une telle austérité qui aura certainement pour effets de diminuer le soutien à la réussite et d’alourdir la tâche du personnel
, ajoute le président de la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ), Youri Blanchet.
Première étape vers l’« austérité »?
En entrevue vendredi, le président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), Christian Daigle, a dit voir dans cette politique un retour de l’austérité
du gouvernement libéral, bien que le gouvernement caquiste n’emploie pas ce terme.
On avait beau ne pas vouloir dire le mot “austérité”, parce qu’on ne veut pas se faire associer au Parti libéral, qui l’a déjà fait à quelques reprises avant, mais c’était carrément ça qui s’en venait. On le voyait s’en venir, et là, ils l’ont annoncé officiellement [jeudi]
, a déploré M. Daigle.
Les principaux syndicats font notamment valoir que le recours à la sous-traitance auprès du secteur privé coûte bien plus cher à l’État que les employés de la fonction publique. Or, des ministères y ont déjà recours, notamment en informatique, note M. Daigle.
Réjean Leclerc considère pour sa part que le gouvernement sous-finance le service public au profit du secteur privé
.
C’est une insulte à l’intelligence des Québécois de dire d’un bord de la bouche : “Votez pour moi, on va baisser les impôts”, et, de l’autre côté, “On va couper dans les services publics”.
Dans son dernier budget présenté en mars, le gouvernement Legault avait dévoilé un déficit record de 11 milliards de dollars en 2024-2025. Depuis, la consigne a été donnée aux ministères et aux organismes de ne pas dépasser le budget qui leur a été alloué.
Ces dernières semaines, les ministères des Affaires municipales, de la Sécurité publique, de la Famille, des Ressources naturelles et des Transports ont annoncé un gel d’embauche, sous réserve de situations jugées exceptionnelles.
Respecter l’argent des citoyens
, affirme le gouvernement
Selon la présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel, la mesure vise d’abord à s’assurer que les cibles d’effectifs établies en début d’année avec les grands gestionnaires du réseau gouvernemental (fonction publique, réseaux de la santé et de l’éducation) soient respectées.
Il ne s’agit pas d’une étape vers l’austérité, mais d’une saine gestion de l’argent public, a assuré Mme LeBel en entrevue à Midi info, vendredi.
La présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Compte tenu du budget déficitaire de 11 milliards déposé au printemps, il est clair que le respect du budget est un incontournable
, maintient Sonia LeBel, qui martèle qu’il faut s’attacher à réduire le rythme d’embauche du personnel administratif dans la fonction publique, sans pour autant réaliser de compressions.
Par ailleurs, les postes administratifs visés par cette mesure ne sont pas des postes qui nuiront au personnel donnant des services à la population, selon elle.
On ne parle pas des personnes qui donnent des services au public ni du personnel administratif qui a un impact direct sur ces services. On va examiner au cas par cas. Quand c’est nécessaire, on va continuer de permettre l’embauche.
La présidente du Conseil du Trésor rappelle qu’entre 2023 et 2024, il y a eu une augmentation globale de 8 % du budget alloué à la fonction publique.
Il y avait des choix importants à faire ces dernières années, on les a faits, dit Mme LeBel. Maintenant il faut un retour à un équilibre budgétaire sur 5 ans, doucement. Ce qu’on veut, c’est juste respecter le budget de 2024 et revenir à l’équilibre.
Trop de fonctionnaires?
Le rapport annuel 2023-2024 du Conseil du Trésor montre que le nombre de fonctionnaires n’a cessé de grimper sous le gouvernement Legault.
Le premier ministre du Québec avait pourtant assuré au début de son mandat qu’il s’affairerait au dégraissage de l’État
.
En chiffres
Il y avait 68 618 fonctionnaires équivalents temps complet (ETC) en 2018, il y en a désormais 78 836, soit environ 10 200 de plus qu’à l’arrivée de François Legault au pouvoir. Il s’agit d’une augmentation de près de 15 %, avec environ 5000 postes de plus pour la seule année 2023.
Avec ce gel du recrutement
, Québec affirme donc une volonté d’optimiser
, sans supprimer de postes de fonctionnaires, dit le gouvernement.
Ce que je veux dire aux grands fonctionnaires de l’État : avant d’engager un poste administratif, vous allez devoir nous démontrer que c’est nécessaire. C’est l’argent des citoyens, organisez-vous le mieux possible.